- Author:
- Mouhot, Henri
- Publication Info:
-
Ithaca, NY:
Cornell University Library,
1863,
pg 285
Text on page 285
LE TOUR DU MONDE.
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laisse en place, et au bout de quelques jours, lorsque ce bois est a peu pres sec, il y met le feu : le champ est ouvert et fume lout a la fois. Quant aux racines, on sa en occupe peu, et de labourage il na en est pas question; sur ce terrain vierge il ne sa agit que da ensemencer. Notre homme prend deux longs bambous qua il couche en travers de son champ en guise de cordeau; puis, un baton de chaque main, il suit cette ligne en frappant de gauche et de droite, pour faire de distance en distance des trous da un pouce a un pouce et demi de profondeur. La tache de la homme est alors achevee, et ca est a la femme a faire le reste. A demi courbee, elle suit la es-pece de sillon trace par son mari, prend dans un pa-nier qua elle porte au cote gauche une poignee de riz, en glisse une soixantaine au moins dans sa main qui les deverse dans les trous avec rapidite et en meme temps avec une telle adresse que rarement il en tombe k cote.
En quelques heures labesogne se trouve achevee, car il na est pas plus besoin de herse que de charrue. La bonne mere nature enverra avant peu quelques fortes ondees qui, en lavant le terrain, couvriront les graines. Alors, le proprietaire sa etablit dans sa case, du haut de laquelle, tout en fumant sa cigarette faite de tabac roule dans une feuille quelconque, il decoche quelques fleches aux san-gliers,aux singes ou aux chevrotins, et sa amuse a tirer de temps en temps une corde de rotin qui met en branle deux bambous places au milieu du champ ou au bout d une perche au sommet de sa case, de maniere a sa en-tre-choquer au moindre mouvement, et dont le bruit epouvante les colombes et les perruches, qui, sans cela, mangeraient toute la semence. La moisson se fait a la fin da octobre.
Generalement deux mois avant les recolles la misere et la disette se font sentir. Tant qua il y a, on fait bom-
Labour et semailles chez les sauvages stiengs. a Dessin de E. Bocourt da apres M. Mouhot.
bance, on trafique, on partage sans jamais songer au lendemain, et quand arrive la famine, on est reduit h manger des serpents, des crapauds, des chauves-souris (ces dernieres se prennent en quantite dans le creux des vieux bambous); puis on ronge quelques graines de mais, des pousses de bambous, des tubercules de la foret et da autres productions spontanees de la terre.
Tous les animaux domestiques des pa)S voisins, tels que boeufs, pores, poules, canards, etc., se retrouvent chez les Stiengs, mais en petit nombre. Les elephants y sont rares, tandis que plus au nord, dans la tribu des Beoams, il na y a pas de village, dit-on, qui na en pos-sede un certain nombre.
Les fetes commencent apres la moisson et lorsque le riz a eteentasse au milieu du champ en meules oblongues da oii tous les matins on extrait ce qua il faut pour la consommation du jour.
Un village en invite un autre, et, selon sa richesse,
tue souvent jusqua a dix boeufs. Tout doit disparaitre avant la separation; jour et nuit on boit et on mange au son du tamtam chinois, du tambourin et du chant. La exces apres de longues privations amene des maladies : les plus communes parmi eux sont la gale et certaines maladies utaoees et honteiises; plusieurs proviennent du manque de sel, quand ils ne peuvent sa en procurer.
Pour tous les maux internes tels que raaux da estomac, da entrailleS; etc., le remede general est, comme au Cambodge, un fer rougi au feu que Ton applique sur le creux de la estomac. II est peu da hommes qui ne portent ainsi un grand nombre de cicatrices sur cette partie du corps.
Ces sauvages connaissent divers remedes tires des simples; ils ne recouvrent jamais une plaie ou une bles-sure; ils sa exposent au soleil avec des ulceres profonds qua ils guerissent cependant generalement. Ils paraissent exempts de !a lepre, si commune parmi les Chinois; du